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La taverne de Fibsurves

Vous connaissez la fin de l’histoire de notre Princesse et de son héros : ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants…

Super !

Je vous rappelle que vous pouvez lire ce conte à vos enfants (et à l’enfant que vous êtes parfois), au premier degré. Mais au delà du premier degré et de l’invitation à vous identifier au vainqueur, rappelez-vous que «la Princesse Merveilleuse» est une métaphore qui représente votre idéal, votre quête ultime, votre projet de vie, etc. Comment allez-vous faire pour surmonter les épreuves, et surtout avez-vous conscience des «épreuves cachées» ?

L’épisode que vous allez découvrir aujourd’hui se déroule au moment où l’annonce du «grand casting» a été diffusée dans le Royaume, soit quelques semaines avant l’épreuve finale (la tour de 10 étages). Cet épisode contient lui aussi de nombreuses métaphores que je vous propose de démêler pour découvrir les premières épreuves à surmonter :

***

La taverne de Fibsurves

Fibsurves est propriétaire d’une taverne qui se situe dans l’une des villes principales du royaume. C’est un homme d’environ 40 ans, un peu rustre, mais son charisme lui a permis de se constituer une bonne clientèle. Notamment des commerçants et des marchands ambulants qui aiment échanger des histoire croustillantes entre deux verres.

Lucerde est l’un de ses principaux clients. Ce jour-là, il pousse la porte et s’adresse à son hôte d’un ton enjoué :

– Salut Fibsurves, es-tu au courant du concours qui se prépare ?

– Qui ne l’est pas, Lucerde. On ne parle que de ça dans tout le Royaume ! Le roi voudrait nous faire croire que sa fille est merveilleuse et il a réussi à endormir le peuple ! Personne ne contestera lorsqu’elle deviendra reine après une telle effervescence. Le peuple la désire déjà !

– Il faut dire qu’elle a toutes les qualités requises pour gouverner. Comme notre bon Roi.

– Notre « bon Roi » ?! Il vit dans l’opulence, alors que nous subsistons à peine. Au lieu de proposer sa chance à un homme, un seul, il ferait mieux de distribuer le Trésor Royal au plus démunis. Ce concours est un injustice sociale : des milliers de jeunes-gens se ruineront pour atteindre les portes du palais. D’ailleurs, je n’y avais pas pensé jusque-là, mais à qui profitent les diligences collectives ? A notre « bon Roi » !

– Il semble que tu ne sois pas au courant : les transports en direction du palais sont gratuits pour tout le monde. Y compris les spectateurs.

– Et le retour ?

– Que veux-tu dire ? Crois-tu que l’aller sera gratuit et le retour payant ?

– Rien n’est mentionné dans la missive royale, alors tout est permis ! De toute façon, tout ça est très bien pensé : des millions de personnes arriveront fatiguées et affamées aux portes du palais ! A qui profitera le commerce sur la Place Royale ?

– Justement, c’est la raison pour la quelle je suis venu te voir : en tant que commerçant,  je peux y louer un emplacement. Veux-tu t’associer à moi ? Il y aura plus à faire là bas qu’ici ce jour là…

– Non merci ! Je ne veux pas y aller. Ca cache quelque chose tout ça… D’ailleurs, j’ai mon idée sur le véritable dessein du Roi. Et je ne suis pas le seul à le penser.

– Tu en as trop dit, ou pas assez…

– Le but est d’envahir le royaume de Miia ! L’armée Royale manque d’hommes. Et comment veux-tu les attirer dans ce guêpier sans les tirer de force ? En leur faisant miroiter monts et merveilles ! Ils vont tous se jeter dans la gueule du loup, et dès qu’un prétendant perdra une épreuve, il sera enrôlé de gré ou de force dans l’armée ! Un seul prince, et 3 millions de soldats ! Voilà le véritable projet.

– Ah… Je n’y avais pas pensé. Tu commences à me faire peur.

– Oui… Je sais que tu as de la famille à Miia, c’est pourquoi je t’en parle. Je compte sur toi pour révéler l’information. Les gens te croiront. Moi, on me prend pour un fou !

– Mais alors, si je participe au concours, à chaque fois que j’éliminerai un concurrent, je l’enverrai à la boucherie !

– Eh oui… Et si tu deviens prince, tu auras la mort de millions de gens sur la conscience. Mais bon… A ce niveau là le concours est honnête : à chaque épreuve, tu apprendras à avoir du sang sur les mains. A la fin du concours, tu y seras habitué…

– C’est incroyable ce que tu me racontes ! C’est terrible… Je vais en parler autour de moi. Après tout, il appartient à chacun de bien s’informer et de réfléchir aux risques qu’il encourt et de prendre une décision en homme éclairé.

– De toute façon les gens ne sont pas dupes. Une princesse est avant tout une femme. Tu en connais beaucoup, toi, des femmes merveilleuses ?

– Ah… Tu as la sagesse en toi Fibsurves ! Et l’humour en prime, même en situation critique. Et dire que ce matin, j’en rêvais encore… Messieurs, c’est ma tournée ! A la santé de tous ceux qui ne tomberont pas dans ce piège infâme ! Nous avons une mission !

Tandis que les hommes buvaient à la santé de leur mission, un homme se leva tranquillement, paya généreusement Fibsurves, et prit son cheval en direction du Palais. Lui aussi avait une mission et elle était urgente.

***

La vision du coach

En quelques minutes, Fibsurves a exploré tout ce qui pourrait faire échouer son invité : la Banalisation, les Croyances limitantes, les Peurs immobilisantes, la médisance, la méfiance, la culpabilité, la révolte, la théorie du complot, la victimisation, la manipulation, le sentiment justicier… Visiblement, Fibsurves se donne beaucoup de mal, avec une facilité consternante ! Il lui suffit de parler…

Lucerde est bon public : ces deux-là font la paire. A eux seuls, ils dissuadèrent des centaines de candidats, et par effet viral des centaines de milliers. Parmi eux, se trouvaient des gens capables de remporter toutes les épreuves jusqu’à la finale. Mais ils n’y participèrent pas pour l’une des raisons suggérées par Fibsurves et son lot de contaminés…

D’autres rumeurs circulèrent dans le royaume par effet boule de neige : concours truqué, combats à mort, jury corrompu, discrimination, etc. Comme si Fibsurve avait lancé un concours d’imagination anti Princesse Merveilleuse, avec de nombreux lots de consolation à la clé…

Comme vous le savez, 10.000 personnes seulement survécurent à cette déferlante : une élite, capable de survivre en milieu hostile… Mais là, je prends de l’avance sur le sujet de demain.

3 questions

  • Avez-vous déjà vécu ce genre de situation lorsque vous avez exposé un projet (voire un idéal de vie) à une personne choisie ?
  • Lorsque vous avez besoin de l’Energie des autres pour vous motiver, allez-vous vers votre «taverne» habituelle ou cherchez-vous de nouveaux contacts ?
  • Vous êtes-vous déjà comporté comme Fibsurves face à un projet qui ne vous paraissait pas pertinent (mais qui l’était pour votre Lucerde) ?
  • Si ce texte vous inspire d’autres questions, vous pouvez en rajouter…

Important : Le questionnement auquel je vous invite ne nécessite pas forcément une réponse publique, et encore moins de livrer votre intimité (vous pouvez rester dans l’allusion). Je pars du principe que les commentaires enrichissent et complètement l’histoire. Mais si vous préférez la discrétions, vous pouvez aussi répondre dans votre tête, ce sera déjà un bon travail sur Soi.

Important bis : évitez de vous épancher négativement sur votre vie «façon Facebook». Par exemple, au lieu d’écrire :

–  Fibsurves, c’est mon mari ! Je crois que je vais le mettre dehors après ce programme. LOL !

Pensez à celles et ceux qui vous lisent, et préférez la formule :

– Je pense que nous avons tous des Fibsurves dans notre famille ou nos amis. Je sens que ce programme m’aidera à maintenir le cap et à résister à mes briseurs de rêves préférés, et de réussite en réussite, devenir leur inspiratrice.

Merci infiniment, pour vous, pour moi, pour tous…

Je rappelle les questions :

  • Avez-vous déjà vécu ce genre de situation lorsque vous avez exposé un projet, voire un idéal de vie, à une personne choisie ?
  • Lorsque vous avez besoin de l’Energie des autres pour vous motiver, allez-vous vers votre «taverne» habituelle ou cherchez-vous de nouveaux contacts ?
  • Vous êtes-vous déjà comporté comme Fibsurves face à un projet qui ne vous paraissait pas pertinent (mais qui l’était pour votre Lucerde) ?

A demain,

Stéphane SOLOMON

Etre prêt à…

Le public fut invité à quitter les estrades et à se diriger vers l’espace des 21 tourelles…

Tirame invita les 3 finalistes à se préparer physiquement et mentalement à l’épreuve finale dont ils ne connaissaient pas encore l’objet. Loigneic passa l’heure à évaluer les différentes options, Eustret s’échauffa, Naurquive se prêta à quelques étirements et postures harmonieuses, s’autorisant, toutes les 15 minutes, des voyages intérieurs dans des mondes qu’il inventait à loisir.

A ce moment précis, l’épreuve planifiée n’était pas celle que nous connaissons. Il s’agissait plutôt d’un jeu de pistes entre les 21 tourelles. Mais lorsque la princesse reconnut en Naurquive le garçon qui lui avait porté secours 8 ans plus tôt, elle se leva et se précipita vers les coulisses. Elle marchait d’un pas vif et déterminé pour rejoindre les organisateurs affairés à régler les derniers détails.

Tirame s’inquiéta de la présence de la princesse. Mais ce n’était pas une simple présence : elle posait des questions, exigeait des réponses précises et donnait des directives de bon sens :

– Princesse, dit l’un des organisateurs, vous ne pourrez prendre place en haut des 3 tours. En revanche nous pouvons placer un fanion en haut du 10ème étage de chacune d’entre-elles. Le premier concurrent qui agitera le drapeau aura gagné.

– Faites concourir les candidats les uns après les autres s’il le faut. Ma place est en haut de la tour !

– Mais si le premier réussit, les autres l’imiteront…

– Alors isolez les concurrents pour qu’ils ne puissent pas s’inspirer les uns des autres.

– Comment les départagerons-nous s’ils gagnent tous les trois ?

– Ils ne gagneront pas tous les trois ! Vu leur état de fatigue, je doute même qu’ils puissent voir la corde en entrant dans le jeu. L’un d’eux la verra peut-être au premier étage, l’autre au troisième ou au sixième… Il sera facile de les départager.

– Mais vous afficher ainsi comme un trophée, comme l’objet de toutes les convoitises n’est pas digne de votre rang.

– Je saurai tenir une posture qui ne laissera personne altérer l’image que j’ai de moi. De toute façon, je ne pense pas que décrocher un fanion pour gagner une princesse soit un meilleur schéma…

Un silence pesant envahit la salle. Tirame décida de le briser :

– Messieurs ! Nous sommes là à tergiverser sur l’image de la femme, alors que si nous devions marier un prince, nous ne contesterions pas autant ses propositions. La moindre des choses est de respecter la demande de la princesse…

– Bien ! Dit la princesse. Lorsque vous donnerez les instructions, Tirame, ne dites rien qui puisse permettre de soupçonner la présence du système de levage. Faites en sorte que même l’esprit le plus aiguisé soit convaincu que l’escalier est le seul moyen qui vaille.

– J’avais prévu un discours sur le QUOI et le COMMENT. Vous savez à quel point ma façon de présenter les épreuves au public impacte les esprits au-delà du jeu. Distinguer le QUOI du COMMENT est d’une importance majeure. Rappelez-vous qu’il y a des enjeux éducatifs derrière cet événement. Le peuple est en transformation depuis plusieurs semaines, et le public est porteur de nouvelles énergies qu’il diffusera autour de lui.

– Alors parlez-en à la fin !

– L’Energie ne sera pas la même…

– Le fait que je sois présente en personne en haut de cette tour met en valeur le QUOI. Un candidat qui ne pense qu’à gouverner ne pourra relever le défi, car pour lui, je ne vaudrai pas mieux qu’un drapeau à agiter. Mais si parmi ces hommes, il en est un qui éprouve de véritables sentiments pour moi, il trouvera le moyen de me rejoindre.

– Bien ! Il est vrai que votre présence affectera les attractions. Les vibrations auxquelles nous avons pensé ne sont plus les mêmes. Il ne nous reste qu’à lâcher prise et à nous laisser porter par ces nouvelles Energies que nous ne maîtrisons pas.

– Merci messieurs ! Dit la princesse. Puis-je vous faire une dernière requête ?

– Faites…

– Prenez ce petit mouchoir blanc, et attachez-le à la corde au niveau du sixième étage…

—-

Lorsque Tirame prononça froidement les règles du jeu, Loigneic n’imagina pas une solution de secours. Toujours intoxiqué par Fibsurves, il se permit même de critiquer le concours qui l’a mené jusqu’à la finale.

Eustret et Naurquive l’entendirent s’indigner. En se lançant, Eustret était encore imprégné du raisonnement de Loigneic et n’avait donc aucun autre objectif que de grimper les 10 étages le plus vite possible. Soit Loigneic avait raison, soit il avait tort… Voyant à mi-chemin que c’était peine perdue, il abandonna.

Naurquive, lui, avait pour objectif de rejoindre la princesse, pas de grimper 10 étages. Son raisonnement ne fut pas binaire comme celui d’Eustret. Il ne se focalisait pas sur la façon de faire, mais sur cette étreinte qu’il avait visualisée tant de fois dans son imaginaire. Il était temps de réaliser son rêve ! A la fin de l’épreuve, lorsque Tirame l’interrogea publiquement sur ce qui lui a permis de gagner, il répondit ainsi :

– Les calculs de Loigneic m’ont aidé à comprendre que quelque chose de plus subtil avait été mis en place pour rendre la victoire possible. J’en étais convaincu, mais je dois avouer que tout au long de ma course, je n’avais pas vu la corde, qui était pourtant là dès le premier étage… Ce n’est qu’au dernier moment, lorsque tout espoir semblait perdu que je me suis senti comme attiré. Je ne saurais expliquer le phénomène, mais c’est comme si mon corps s’était soulevé ! Même avec la meilleure volonté du monde, je n’aurais pu continuer à pieds…

– Et si ce phénomène étrange n’avait pas pris possession de votre volonté, auriez-vous continué votre course ?

– Oui !

– Et si la tour avait été haute de 15 étages, auriez-vous continué ?

– Même s’il avait fallu grimper 100 étages, J’étais prêt à le faire ! Mais je suis bien heureux de n’en avoir grimpé que 6…

Tirame se sentit transcendé par ce qu’il venait d’entendre. Naurquive venait de lui inspirer la fin de son discours. Une fin à laquelle il n’avait pas pensé, et pourtant, tous ses actes de bravoure durant les temps durs du royaume pouvaient se résumer à ça :

Etre prêt à…

Mesdames et messieurs, Notre vainqueur vient de nous décrire un phénomène étrange qui l’a mené jusqu’à la victoire. Ce mystère échappe à notre science, mais il sera peut-être expliqué dans quelques siècles. En attendant, nous pouvons tous profiter de cette Attraction : peu importe COMMENT cela fonctionne. Ce qui compte, c’est le QUOI. La cause profonde pour laquelle vous serez toujours prêts à…

Vous n’aspirez certainement pas à grimper 100 étages pour atteindre votre but ultime, mais vous êtes prêts à le faire ! Et si des solutions apparaissent en chemin, c’est parce que vous êtes prêts à…

Etre prêt à entreprendre un long chemin, réduit le chemin…


C’est ainsi que se termine notre histoire. Cependant, nous nous sommes concentrés sur quelques personnages-clé. Comme vous pouvez vous en douter, beaucoup d’autres habitants du royaume ont interagi avec ces changements, avant, pendant et après le concours. Le passage chez Hacoc, pourrait à lui seul faire l’objet de dizaines d’histoires…

J’aurai l’occasion de vous en raconter tout au long de l’année.

L’aventure continue…

A++

Stéphane

La demi-finale

L’intégralité du concours se déroula dans un contexte agréable et non violent. 10 personnes furent retenues pour l’avant dernière épreuve. Tirame les félicita à huis-clos :

Messieurs, nous nous approchons du terme du concours, et je vous félicite pour votre parcours : vous êtes les 10 meilleurs ! Non pas sur 1.000 concurrents mais sur 3 millions !

Quel que soit votre Devenir, souvenez-vous-en ! Quoi qu’il arrive, vous sortirez grandi de cette aventure.

Puis il reprit publiquement, les instructions :

Ce dernier match consiste à équilibrer la balance qui se trouve 50 mètres devant vous. Elle supporte sur sa colonne de droite un seau contenant 4 litres d’eau. Vous disposez chacun d’un petit seau de 3 litres et d’un grand seau de 5 litres. Vous pouvez vous servir du baquet d’eau qui est devant vous pour le remplir. Equilibrez cette balance, et vous gagnerez votre place en finale ! Attention : seuls les 3 candidats les plus rapides y accèderont.

3 règles sont à observer :

  • Vous n’avez droit qu’à une tentative d’équilibre. Si votre seau est trop léger ou trop lourd après votre tentative, vous serez disqualifié.
  • Vous n’avez pas le droit de jeter de l’eau par-terre. Le gâchis entraîne la disqualification.
  • Faites appel à votre logique, votre imagination, votre intuition, votre esprit créatif, votre sens de l’observation… En dehors des deux premières règles, tout est permis !

Un certain Loigneic fut le premier à équilibrer la balance. Il gagna sa place en finale en moins d’une minute grâce à ses connaissances en Mathématiques. Le public fut impressionné par sa vitesse d’exécution et son assurance.

Un chanceux nommé Eustret y parvint en 10 minutes. Après de multiples expériences, il finit par accepter l’idée qu’il avait 4 litres dans son seau ! Il fut le premier surpris par l’équilibre parfait de la balance au moment de la pesée.

Touride, dont nous connaissons le destin, avait trouvé la solution en imitant Eustret, mais il trébucha à quelques mètres de la balance, renversant son seau.  Beaucoup croiront qu’il s’agissait d’une véritable maladresse, mais lorsque Touride s’interrogea en profondeur, il reconnut qu’il venait d’utiliser sa botte secrète pour se retirer du jeu au bon moment.

Un autre candidat demanda au public de l’aider, mais le brouhaha et les incertitudes des uns et des autres ne lui permirent pas de se décider. Il perdit de précieuses minutes avant de se concentrer sur le problème.

Deux candidats décidèrent de partager leur matériel. Ceci simplifia les procédures, mais au moment de poser le seau de la victoire, ils se disputèrent, se souvenant qu’il ne pouvait y avoir qu’un seul gagnant… Ils gâchèrent l’eau en se bousculant, et furent disqualifiés tous les deux.

Naurquive était l’un des favoris. Son calme, sa persévérance, son intelligence existentielle, son sens de la Communication… annonçaient un prince idéal. Après de nombreuses tentatives, il posa ses deux seaux à terre, et observa le maître du jeu, comme s’il voulait lire dans ses pensées. Tirame se contenta de lui sourire. Ce signe rassurant lui redonna confiance et une idée intéressante lui traversa l’esprit : il courut vers Eustret et lui demanda :

– Peux-tu m’aider à remporter cette épreuve, toi qui connais le secret ?

Eustret lui répondit :

– Ce serait avec plaisir, mais je ne me souviens pas de la façon de faire. J’ai eu beaucoup de chance… Je risque de te faire perdre ton temps, car malgré ma qualification, je ne connais toujours pas la solution.

Naurquive remercia Eustret pour sa franchise, et s’adressa à Loigneic. Celui-ci lui répondit «pourquoi  pas ?», mais au moment où il commença son explication, un homme lui cria depuis les gradins que cet acte allait le disqualifier :

– Méfie-toi ! Les règles ne sont pas très claires ! Tu avais peut-être le droit de t’associer à un autre joueur pendant ta recherche, mais à présent que tu maîtrises le sujet, il est possible qu’en divulguant le secret tu sois disqualifié ! A ta place, je tiendrai ma langue. Ce n’est pas le moment de perdre ta place ! De plus, Naurquive est un concurrent redoutable : il pourrait te battre en finale ! Il est préférable pour toi qu’un autre gagne !

Oui ! si vous avez quelques soupçons, vous avez vu juste ! C’est bien Fibsurves qui criait depuis les gradins ! Après avoir mis hors-jeu une multitude de jeunes-gens, il s’incrusta dans le jeu pour poursuivre sa mission toxique. Il s’installa d’abord comme commerçant ambulant aux portes du palais, puis après s’être assuré que son employé fera tourner son commerce, il se dit que la couronne (et accessoirement la princesse) étaient faites pour lui ! Il utilisa la ruse pour prendre la place d’un jeune-homme qui attendait devant une tente et s’il ne put participer aux épreuves, c’est parce qu’il décida de quitter la sélection après avoir mal évalué la distance avec le palais de Miia. Bien entendu, en quittant la tente, il créa un mouvement de révolte en dernière instance, persuadant quelques candidats que la sélection était truquée et que les réponses ont été données d’avance aux préférés du roi. Son invention eut comme effet de faire sortir de la tente une dizaine de personnes qui n’avaient même plus envie de répondre aux questions… Fibsurves alla ensuite s’installer sur les gradins, critiquant chaque épreuve, et soupçonnant certains gagnant d’avoir triché…

Naurquive se sentit l’envie d’insister auprès de Loigneic, mais la posture de ce dernier ainsi que les traits de son visage montrèrent qu’il venait de se faire intoxiquer par Fibsurves… Il y avait de la haine dans ses yeux ! Comment un tel prodige a-t-il pu se laisser berner en quelques secondes ? La fatigue physique sans doute… Si le mental peut agir sur le physique, l’inverse est également vrai ! C’est à ce moment-là que la mauvaise-foi peut contrarier le sens de la vie…

Les qualités de communicateur de Naurquive  lui auraient permis de faire revenir Loigneic vers de meilleurs sentiments en quelques minutes, mais il se promit de réserver cette action à un autre moment. Le temps comptait ! Et même s’il risquait de perdre un ami, entre sacrifier son Amour pour la princesse et sa relation avec Loigneic, il fit un choix clair et immédiat. Il laissa donc temporairement l’homme sous mauvaise influence, et retourna à sa place.

Il s’assit sur le sol, ferma les yeux et fit le vide dans son esprit. Il visualisa sa victoire au-delà des épreuves, se concentrant uniquement sur son objectif final. Durant son rêve éveillé, il se promenait avec la princesse dans les jardins du château, la tenant par la taille. Un petit garçon les rejoignit, il le porta sur ses épaules et courut à travers les allées en imitant le cheval. Sa vie était belle, il était en paix, l’Amour et les nobles sentiments qui accompagnent cet état l’habitaient… Un précepteur vint chercher l’enfant pour son cours de sciences. Le visage du précepteur était flou : Naurquive eut du mal à le reconnaître, puis très nettement, les traits de Tirame se dessinèrent. Il ouvrit les yeux…

Son rêve ne dura que 3 minutes. Les autres concurrents se débattaient encore avec leurs seaux. Tirame souriait toujours en le regardant fixement… Rien n’avait changé pendant cette absence volontaire, sauf un détail : le sourire du Maître du jeu avait pris un sens nouveau : il semblait lui dire :

Rappelle-toi : Tout est permis… Tout t’est permis !

Tranquillement, Naurquive rejoignit Tirame, et lui dit :

– Maître Tirame, vous connaissez la solution, je serai honoré de bénéficier de votre enseignement !

Sous les yeux stupéfaits du public et des autres candidats, le maître du jeu s’exécuta et montra à Naurquives comment remplir le grand seau avec exactement 4 litres d’eau. Naurquive équilibra la balance. L’épreuve prit fin. Tout simplement…

Les trois finalistes, Loigneic, Eustret et Naurquive, furent réunis au milieu de l’arène afin que le public puisse les honorer. Il saluèrent la foule, le roi et la princesse qui assistèrent sous bonne garde à ce spectacle. Au moment où Naurquive croisa le regard de sa princesse, il sortit un petit mouchoir blanc de sa poche et l’utilisa pour son salut.

La princesse tressaillit… Elle venait de le reconnaître !

Qui perd, gagne…

En entrant dans les coulisse de l’arène, les participants furent surpris par l’abondance de biens et de services qui leur étaient offerts. Une nourriture abondante et pour tous les goûts, des boissons rafraîchissantes à souhait, des vêtements neufs, une bibliothèque immense contentant de nombreuses sources d’informations, et surtout une disponibilité des instructeurs à qui ils pouvaient poser tous types de questions, tant sur l’organisation de l’événement que sur la vie au palais, les loisirs du roi, les goûts de la princesse, les membres de la Fraternité qui a suivi le roi dans de multiples aventures et qui lui sont restés fidèles après son couronnement…

Quelques jeunes-gens de condition modeste se sentirent gênés lorsqu’on leur proposa des vêtements neufs, ils avaient peur de devoir les rembourser au cas-où ils les abîmeraient. Les personnes qui s’occupaient du bien-être des candidats leur expliquèrent que tout ce qui était à leur disposition et qu’ils pouvaient emporter avec eux, était offert. En aucun cas on ne leur demandera de payer ou de rembourser quoi que ce soit : vêtements, livres, souvenirs… Pendant cette journée spéciale, ils étaient accueillis comme des princes et pouvaient disposer des richesses dignes de ce rang.

Le discours de Tirame

Tirame leur fit un discours de bienvenue empreint de Bienveillance de de Respect :

Vous êtes des personnes de grande Valeur ! Prenez conscience de votre Valeur : chacun de vous est unique et sublime !

Vous avez franchi de multiples obstacles pour arriver jusqu’ici. Quelle que soit votre condition sociale, quelles que soient vos origines, quel que soit votre parcours de vie, vous avez réussi à sortir des innombrables pièges qui vous ont été tendus. Des millions de personnes vivent ce changement avec hostilité, mais vous, vous chers amis, vous avez réussi à transformer chaque obstacle en défi, chaque rencontre en opportunité, chaque épreuve en occasion de vous dépasser, et surtout, vous avez su apprécier les multiples cadeaux qui vous ont été offerts par la vie au lieu de les repousser…

Alors permettez-nous de nous associer à la vie pour vous offrir des cadeaux à la hauteur de votre Attitude. C’est elle qui vous a menée jusqu’ici. Vos connaissances, vos compétences, vos dons et vos talents sont de bons atouts, mais sans votre belle Attitude, vous ne seriez pas là pour les manifester. Mes amis de la Fraternité vont passer dans les rangs pour vous serrer la main. Ecoutez bien ce qu’ils vous diront, car ces deux mots représentent désormais votre nouvelle vision du monde. Vous pourrez vous les répéter à chaque fois que la vie vous proposera de vous combler !

Les amis de Tirame passèrent dans les rangs pour serrer les mains des candidats. A chaque poignée de main, ils fixèrent leur interlocuteur dans les yeux, et d’une voix ferme et douce à la fois ils lui annoncèrent :

Tu mérites !…

Pour certains candidats, peu habitués à ce genre de valorisation de leur Etre, ces mots firent l’effet d’une onde de choc. Une foule d’émotions les traversa, leur donnant le sentiment que tout leur était désormais possible. Tous avaient conscience qu’un seul homme deviendra prince du Royaume, mais l’Energie qui les faisait vibrer valait tous les royaumes du monde. Energie qui irradia aux alentours puisqu’à ce moment précis, sur les gradins, des milliers de personnes commencèrent à taper dans leurs mains pour encourager les valeureux.

Qui perd, gagne…

Les épreuves publiques, celles que tout le monde peut admirer, sont rarement représentatives du chemin parcouru au préalable. C’est du spectacle : un condensé acceptable pour des spectateurs qui ne souhaitent pas entrer dans les détails, mais qui aiment apprécier les résultats. Les organisateurs firent honneur aux méritants en orchestrant des épreuves qui ont mis en valeur toutes les personnalités : les chanteurs ont pu chanter, les jongleurs ont pu jongler, les peintres ont pu peindre, les jardinier on pu jardiner…

Même si en quelques heures, des centaines de participants furent éliminés, le simple fait d’avoir fait partie du spectacle leur permit par la suite, d’être reconnus à leur juste valeur. S’ils ne sont pas devenus princes du royaume, ils ont pu exercer un véritable pouvoir dans leurs villes et leurs villages, aidant par leur Attitude les personne qui les prirent comme modèles.

L’exemple de Touride, dont nous suivons les aventures depuis le jour où il quitta son village à dos de mule, pourrait faire office de métaphore pour illustrer ces «perdants qui ont tout gagné». Son parcours pendant le concours fut à l’image de son cheminement jusqu’au palais. Après quelques maladresses dont il chercha le Sens, il remporta des victoires successives et reprit Confiance en lui. Le public l’admira épreuve après épreuve. Il était le grand favori. Aussi, lorsqu’il échoua à la demi-finale, de nombreuses personnes vinrent le féliciter.

Dans cette foule d’admirateurs, il reconnut Misete, sa confidente de toujours :

– Misete ! Quelle surprise ! Mais que fais-tu là ?

– Je n’allais pas manquer un tel spectacle !

– C’est vrai que c’était fantastique ! Quelle belle aventure !

– Et tu ne regrettes pas d’avoir perdu ?

– Non ! C’est curieux, j’ai même l’impression d’avoir gagné ! D’être devenu «quelqu’un» !

– Tu as toujours été «quelqu’un» ! Tu as juste ouvert les yeux grâce à ce parcours. Et aujourd’hui, tu mérites !…

Pendant un bref instant, Touride sentit encore cette belle Energie le traverser. C’est vrai qu’il a dépensé sa jeunesse à entretenir la médiocrité qui lui collait à la peau, et que cette aventure lui a permis d’aiguiser ses sens en se fiant à ce qui se trouvait en lui et autour de lui.

– Oui… dit-il à son amie, je me lamentais souvent en désirant tout ce que je n’avais pas. Bien des choses étaient à ma portée, mais je n’ai jamais su tendre la main pour les saisir, les découvrir, les observer, m’en exalter…

Tout en prononçant ces mots, il tendit le bras et relava doucement la mèche de cheveux qui cachait les yeux de Misete. Il fut subjugué par son regard vert. Ce vert d’espoir qu’il était venu chercher… II se rapprocha pour lui murmurer à l’oreille :

– Je n’ai pas remporté la victoire… J’ai remporté ma victoire !

Touride et Misete ne furent intéressés ni par la dernière épreuve, ni par le gagnant qui rejoignit la princesse en haut de la tour. Tout ce dont ils se souviennent, c’est de leur premier baiser d’éternité, sous les bravos d’une foule en liesse.

La dernière sélection

Après la signature du registre, chaque participant fut dirigé vers une tente, dans laquelle des instructeurs exposaient les règles du jeu, par groupe de 100. Beaucoup furent surpris lorsqu’on leur demanda de se dessaisir de leurs armes :

– On m’a dit qu’il y aurait des combats à mort ! Mon épée est ma force, je ne peux me battre avec d’autres armes, répliqua un jeune homme à fière allure

– Il n’y aura pas de combat à l’épée, jeune homme, répondit l’instructeur

– Tant mieux ! Je suis imbattable à mains nues, s’écria un grand trapu en frappant son poing droit dans la paume de sa main gauche.

– Mais il n’y aura pas de combat du tout. Ce n’est pas une bataille !

– Ce n’est pas du tout ce qui a été promis ! J’ai fait tout ce chemin pour rien ?!

Effectivement, beaucoup de gens ont fait ce chemin pour rien ! Les rumeurs que Fibsurves a distillé dans les esprits (et qui ont été relayés dans tout le royaume) n’ont pas eu qu’un effet dissuasif. Un certain nombre de guerriers et de patriotes zélés ont apprécié l’idée de former une armée pour envahir les royaumes voisins, et s’ils ont réussi à passer à travers tous les filtres précédents, c’est par conviction guerrière. Une conviction aussi forte que celle de Naurquive, qui était là par Amour. Une conviction aussi forte que celle de Touride, qui était là pour reprendre sa place dans une vie qui, jusque-là, ne l’avait pas épargné.

Ces convictions ont su faire face à toutes les sélections naturelles préalablement décrites. Mais à présent qu’une nouvelle réalité apparaissait pour les guerriers, c’est à dire un concours sans violence où le dépassement de soi était beaucoup plus important que la comparaison avec les autres, ils se sont sentis trahis. Ce qu’ils venaient de vivre était injuste.

Le sentiment d’injustice crée un profonde démotivation

Nous sommes d’accord qu’il n’y a pas vraiment d’injustice, mais juste un sentiment provoqué par des attentes qui n’avaient pas lieu d’exister. Mais ce n’est pas la réalité qui crée la motivation ou la démotivation, c’est la perception de la réalité. Lorsque nous sommes impliqués, il n’y a aucune différence entre une injustice réelle et une injustice perçue. Sauf, bien-sûr, si nous le savons…

Mais ces guerriers ne le savaient pas ! Ils ne sont pas passés par la case Hacoc, ils n’ont pas eu de guides pour les aider à faire face au sentiment d’injustice, et ce qu’ils venaient d’apprendre eut l’effet d’un coup de massue ! Les tentes se vidèrent de plusieurs dizaines de personnes chacune…

Le test

Les instructeurs invitèrent «les survivants» à passer un test chacun dans leur tente respective. Ils précisèrent que ce test était éliminatoire et nécessitait une attention particulière les 10 premières minutes..

Naurquive et Touride se trouvaient sous la même tente avec environ 70 autres concurrents. L’instructeur posa cette question à haute voix à la première personne qui se trouvait devant lui :

 – Que représentent ces lettres ? LMMJVSD
– Je n’en ai aucune idée !
– Il s’agit des initiales des 7 jours de la semaine.

L’homme prit ses affaires et s’en alla en dandinant de la tête…

– A quelle distance d’ici se trouve le Palais de Miia (le royaume voisin) ?
– 800 km ? Répondit un homme sous forme interrogative.
– 1.001 km exactement ! C’est un nombre facile à retenir n’est-ce pas ?
– Oui, dit l’homme ! Si on veut… Mais on le sait ou on ne le sait pas !
– A présent, tout le monde ici le sait, et vous aussi.

L’homme haussa les épaules et sortit en perdant, comme le premier.

– A quel âge la princesse fit-elle sa chute d’éléphant ?
– C’était le jour de ses 12 ans, répondit Naurquive en serrant un petit mouchoir blanc dans sa poche gauche
– Précisément ! Répondit l’instructeur. Pensez à l’âge que vous aviez et à votre différence d’âge s’il y en a une.

– Quel légume peut-on utiliser pour soigner les brûlures ?
– La carotte, répondit Touride…
– Le chou ! Reprit l’instructeur. Pensez au multiples feuilles qui se chevauchent comme des peaux qui se construisent…

Touride resta en position. L’instructeur lui sourit… Visiblement, notre héros, a compris ce que les précédents «perdants» ont occulté : il avait droit à l’erreur ! Une fois de plus Touride gratifia Hacoc dans son esprit. Le droit à l’erreur fut une grande découverte pour lui et pour les autres participants du parcours «Croire». Que de révélations…

L’instructeur continua à poser des questions sur différents thèmes. Sur 10 personnes qui ne connaissaient pas la bonne réponse, 5 sortaient de la tente, pensant que l’erreur était fatale. Le maître du jeu, sans chercher à les rattraper, donnait toujours la bonne réponse à l’ensemble des joueurs , ainsi qu’un bonus qui permettait de l’ancrer en mémoire.

Après un tour complet, il s’adressa à nouveau au à Naurquive :

– Que représentent ces lettres ? LMMJVSD
– Il s’agit des initiales des 7 jours de la semaine

Un homme intervint :

– C’est injuste ! Vous avez déjà donné la réponse à cette question !
– Il ne me reste plus que des questions déjà posées, dit l’instructeur… D’ailleurs, puisque vous intervenez, je vais vous poser la suivante : à quelle distance d’ici se trouve le Palais de Miia ?
– 800 km ?
– 1.001 km !
– Oui… C’est loin quoi…
– Merci d’avoir participé à cette présélection. Votre aventure s’arrête ici.
– Mais on a droit à une erreur et je ne l’ai pas encore commise !
– L’erreur a été commise il y a moins de 10 minutes, et j’ai donné la solution.
– Je n’ai pas écouté les réponses…
– Voilà le test éliminatoire dont je vous parlais depuis le début : ne pas apprendre de vos erreurs, ne pas saisir la chance que d’autres ont saisie en votre présence. Ne pas avoir de la curiosité. Ne pas accepter les règles… Vous êtes entré sous cette tente avec l’opportunité d’augmenter vos connaissances, mais malgré tout ce qui a été mis en place pour vous y aider, vous avez préféré en rester avec vos acquis initiaux.

L’homme sortit de la tente en grommelant.

Beaucoup d’autres candidats furent éliminés lors de ce second tour. A la fin de cette présélection, environ 1.000 candidats restèrent en lice, toutes tentes confondues. Naurquive et Touride en faisaient toujours partie. Les spectateurs prirent place dans les gradins de l’arène, et Tirame annonça :

Que le spectacle commence !

 

Épreuves cachées

Aux portes du Palais, près de 10.000 personnes se présentèrent pour concourir et plus de 20.000 autres pour regarder le spectacle, commercer, encourager leurs amis… On pourrait s’étonner du nombre, puisque les règles établies ouvraient les portes à plus de 3 millions de candidats potentiels. Mais comme l’a expliqué Hacoc à tous ceux qui avaient envie de l’écouter,  les règles intérieures sont beaucoup plus puissantes que les règles extérieures. Le roi pourrait déployer tous ses efforts pour vous inviter à manger à sa table, si vous n’y croyez pas, ou si vous avez peur des conséquences de votre geste, vous pourriez refuser la proposition avec la certitude qu’elle n’a jamais été…

L’Univers aura beau vous donner plus que votre part, c’est vous qui aurez le dernier mot…

En période de changement, la peur d’échouer comme la peur de réussir (qui sont à placer au même niveau) écartent beaucoup de gens du chemin. Dans ce Royaume, devenir prince alors que l’on n’était pas de sang royal était un profond changement. Même ceux qui se plaignaient de vivre l’injustice d’être «mal nés» critiquèrent l’option de se voir gouvernés par un incompétent ! Ainsi, en considérant qu’un homme du peuple était forcément incompétent de par son éducation ou son parcours de vie, ils  furent les premières victimes de leur propre jugement. Hacoc le disait souvent à toute personne qui ne croyait pas en sa propre légitimité d’évoluer :

Tu es ton premier juge. Les autres ne sont que reflet…

Plusieurs files d’attentes furent aménagées, afin d’accélérer les inscriptions : chacun devait écrire son nom sur un registre, avant d’entrer dans une tente dans laquelle un instructeur expliquait les règles du concours groupe par groupe, et répondait à toutes les questions.

Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, l’attente fut longue. Au bout d’une heure, un homme commença à se plaindre :

– Je suis venu ici pour devenir un prince, et voilà qu’on me fait attendre comme si je n’étais qu’un citoyen de seconde zone ! Cet accueil n’est pas digne de mon rang ! Je ne cautionnerai pas une organisation aussi déplorable par ma présence !

Beaucoup de gens le pensaient sans oser le dire. Mais en libérant les mots, il libéra une énergie particulière qui créa un mouvement : des dizaines de personnes commencèrent à se plaindre, chacune apportant son lot de créativité à ce qui ne convenait pas. Pour appuyer leurs dires, ces révoltés quittèrent les lieux, attirant par leurs prises de position et leurs paroles plus de 1.000 suiveurs qui disaient de façon plus ou moins explicite :

– Tu as lu dans mes pensées ! Je pense comme toi, donc je te suis…

Si Touride n’était pas passé par le parcours «CROIRE», il aurait probablement quitté les lieux à ce moment-là. Mais il se souvint d’une expérience menée par Hacoc, qui démontra à l’auditoire que les personnes qui «lisent dans les pensées» n’ont aucun pouvoir ésotérique. Elles ne font que lire ce qu’elles ont écrit quelques minutes plus tôt…

Ainsi, plus de 1.000 candidats abandonnèrent au bout d’une heure d’attente. Beaucoup d’entre eux diront après la finale, que s’ils avaient participé aux épreuves, ils auraient gagné ! Pas un seul instant il ne leur vint à l’esprit que la première épreuve fut celle de la patience…

Une Energie particulière

L’un des prétendants qui se trouvait à plusieurs centaines de mètres du lieu de l’inscription eut alors une idée pour rendre l’attente plus agréable :

«Messieurs, dit-il à ses concurrents, nous sommes tous des hommes de talent, et avant de nous affronter, nous pourrions apprendre les uns des autres. Je m’appelle Neige, je suis musicien.» Il prit sa harpe et se mit à jouer et à chanter.

D’abord surpris par la proposition, puis charmés par les mélodies du jeune-homme, ils décidèrent de participer : un jongleur vint le rejoindre et lança ses balles en rythme. Un magicien apparut soudainement dans un nuage de fumée et donna sa part de mystère au spectacle improvisé, puis ce fut le tour du charmeur de serpent, des équilibristes, des conteurs… Non loin de là, ce sont les artistes manuels qui formèrent leur groupe : dessinateurs, graveurs, sculpteurs sur bois, calligraphes, et même un souffleur de verre qui avait inventé un atelier mobile. Il fit sensation !

Le temps parut plus court pour tous : participants et spectateurs. Mais là encore, ce moment de partage fut vécu comme une véritable épreuve pour certaines personnes, convaincues de n’avoir aucun talent. Face à ce spectacle, dans lequel ils ne trouvaient pas leur place, ils commencèrent à se sentir « étrangers ». Distraits pas toutes ces merveilles, ils oublièrent la raison pour laquelle ils étaient là. Ils firent trois petits tours et s’en allèrent rejoindre les gradins des spectateurs… par centaines.

Ainsi, échouèrent-ils à la seconde épreuve cachée : distraits par le chemin, ils oublièrent leur destination.

Touride se souvint d’une phrase que Hacoc avait empruntée à un certain Lao Tseu :

Il n’y a point de chemin vers le bonheur : le bonheur c’est le chemin.

Puis elle ajouta (parce qu’elle avait lu bien plus que la célèbre citation) :

Aussi, poursuis ton chemin pour savourer chaque instant de Bonheur…

Troisième épreuve

De belles amitiés se formèrent par cohésion. Emmessite l’illustrateur et Riccasife le conteur en sont un bel exemple : tandis que Riccasife offrait une belle histoire au public, Emmessite l’illustrait à même le sol. La foule les suivait tout en avançant dans la file d’attente. L’histoire fut passionnante, les illustrations éblouissantes… Puis, à quelques mètres de la tente, Riccasife décida d’abandonner !

Etrange… Il avait pourtant préparé 3 contes extraordinaires dans le but de séduire la princesse et le roi pendant le concours. De plus il avait 1.001 contes d’avance, pour agrémenter les soirées au palais. Il avait un plan parfait ! Il était sûr de gagner ! Son nouvel ami, lui, n’avait aucune stratégie. Seul son talent pouvait lui permettre d’attendre la première place et Riccasife savait que sans stratégie, il n’aurait aucune chance. Dans un élan d’altruisme, il lui céda sa place pour augmenter ses chances de réussite… Il partit sans dévoiler la véritable raison de son geste.

– Je dois partir pour des raisons personnelles, dit-il avant de s’éclipser

Emmessite resta seul avec de nombreuses questions. Il réfléchit quelques minutes, puis se dit :

– Si Riccasife abandonne, qui suis-je pour poursuivre l’aventure ?

Il ramassa ses affaires, et quitta les lieux !

Evidemment, leur départ fut accompagné d’un sillage humain : des centaines d’abandons correspondant à la question «qui suis-je pour concourir ?».

Après s’être posé cette même question, Touride se reprit en se souvenant de la parade proposée par Hacoc. Une parade pleine d’humilité elle aussi :

Qui suis-je pour ne pas concourir ?…

Il ne restait plus que 3.000 candidats. Nous verrons demain comment ce nombre fut réduit à 1.000…

Croire…

Touride attacha sa mule et frappa à la porte de la maison de Hacoc. C’était une très belle demeure. On eut dit que l’artisan qui l’avait construite y avait mis tout son cœur.

Personne ne répondit. Il décida de se promener dans les allées du jardin et croisa une femme qui soignait délicatement un rosier.

– Vous êtes là pour CROIRE ? Lui demanda-t-elle avec un regard pétillant.

– Je cherche Hacoc. On m’a dit qu’elle pourrait m’être utile.

– C’est certain, lui dit-elle, c’est pour cette raison qu’Hacoc se lève chaque matin : être utile.

Elle désigna un petit bois qui se trouvait à une centaine de mètres. Il y avait là une autre maison plus petite que la première, mais aussi belle. Il s’en approcha et entendit une voix féminine s’exprimer avec conviction. Il entra dans la pièce où une dizaine de personnes assises sur des bancs écoutaient l’oratrice. Tout en continuant à parler à son auditoire, elle suggéra à Touride de s’asseoir à côté d’une femme au deuxième rang.

Touride préféra s’isoler au fond de la salle : il s’assit sur le bord d’un banc, le plus près possible de la sortie. Comme il n’y avait personne pour faire contrepoids, le banc bascula, fit tomber le jeune-homme et reprit sa position dans un fracas qui interrompit le discours. Tout le monde se retourna :

Touride était à terre, confus, désemparé… Il rougit et commença à larmoyer. Il prit sa tête entre ses mains comme pour se protéger des quolibets. Il s’attendait à devenir la raillerie de l’assistance… Mais contre toute attente, personne ne se moqua ! On l’aida à se relever avec de nombreux égards. Certains lui demandèrent s’il s’était fait mal. Un cinquantenaire très paternel lui proposa un verre d’eau en lui tapotant l’épaule…

Ces réactions lui parurent tellement étranges qu’il se sentit mal à l’aise. Il repoussa toute proposition d’aide, retourna s’asseoir, au milieu du banc cette fois, et demanda à toute personne qui avait encore la moindre empathie pour lui de s’occuper de ses affaires !

Hacoc sourit, et reprit son discours :

Vous êtes responsables de votre vie ! Même vos pensées sont des CHOIX. Même vos émotions sont des CHOIX. Tant que vous croirez que vous ne pouvez choisir ni vos pensées ni vos émotions, vous vivrez en victime. Dès que vous prendrez conscience que c’est vous qui menez la danse, la victime disparaîtra et son histoire de victime avec elle !

Rassurez-vous, vous ne perdrez pas la mémoire ! Si on vous demandait de raconter l’épisode le plus sombre de votre histoire, vous vous surprendrez même à retrouver des détails oubliés. Ces petits détails qui donneront à votre récit un sens nouveau. Et il y a un cadeau magique qui accompagne tout ça : même si vous avez vécu en victime pendant 100 ans avant de jouir de cette transformation, à l’instant où vous aurez accepté la Responsabilité de votre vie, 100 années de victimisation disparaîtront, et votre vie toute entière sera éclairée par votre nouveau regard sur le passé : le regard d’un Être Responsable qui construit sa vie au lieu de la subir.

Bien que Hacoc s’adressa à l’assistance toute entière, Touride eut l’impression que c’est à lui que ces mots étaient destinés. Il lui semblait même qu’ils faisaient écho à ce qu’il venait de vivre : après sa chute il S’ATTENDAIT à être moqué, il VOULAIT devenir la victime innocente de tous ces gens, il ÉTAIT PRÊT à s’enfuir en courant verser toutes les larmes de son corps au bord d’un ruisseau… A la moindre raillerie, il l’aurait fait : Il s’y voyait déjà ! Dans son esprit, il n’y avait qu’une seule conséquence possible à sa chute ridicule : demeurer l’idiot du village ! Demeurer une victime…

L’animatrice poursuivit :

A présent écoutez-moi bien, car ce que je vais vous révéler va vous libérer d’un énorme poids :

Beaucoup de guides spirituels vous diront que l’Univers vous renvoie une image fidèle à ce que vous attendez de lui :

  • Vous voulez victimiser à propos de votre condition ? alors vous vivrez dans de tristes conditions !
  • Vous voulez blâmer le monde qui vous entoure ? Alors ce monde vous en donnera l’occasion chaque jour !
  • Vous voulez vivre en solitaire ? Alimenter un sentiment d’abandon ? Vous faire trahir au moindre regain de confiance ? Parfait ! C’est exactement ainsi que les choses se passeront, parce que vous co-créez tout ça !

J’y ai longtemps cru à la lettre, mais je me suis rendue compte qu’au lieu de me sentir Responsable, je me sentais coupable d’avoir co-créé un monde misérable ! Et puis un jour, j’ai pris conscience qu’un détail important m’avait échappé. Un détail qui complète cette loi et qui nous donne accès à de nouvelles attractions. Le voici :

Certes, l’Univers nous envoie une vie conforme à nos pensées, mais dans sa générosité, il arrive parfois qu’il nous livre bien plus que notre part…

Touride pensa à toutes les bonnes attentions qui lui ont été livrées quelques minutes plus tôt, alors qu’il était convaincu qu’il allait crouler sous les moqueries. L’univers dans lequel il se trouvait lui a donné bien plus que sa part, et pourtant il a refusé toute bienveillance.

Comme pour faire écho à sa réflexion, Hacoc continua :

Mais rappelez-vous que quoi qu’il arrive, vous aurez toujours le dernier mot ! L’Univers pourrait se monter bienveillant et généreux pendant des années ! Si vous refusez ses invitations, rien ne changera dans votre vie. Si vous les acceptez, attendez-vous à des miracles !

Une jeune-femme, nommée Chidérée, leva le doigt  :

– Toute mon enfance j’ai souffert de maltraitance. Mes parents étaient de véritables bourreaux ! Comment puis-je accepter l’idée que je suis responsable de tout ça ?

– Que pensez-vous des croyances spirituelles selon lesquelles notre âme choisit nos parents avant de naître ?

– Vous comprenez bien que dans ma situation je refuse d’y croire… Ou alors j’ai une âme d’aliénée !

– Avez-vous des enfants ?

– Oui… J’ai deux garçons

– Les maltraitez-vous ?

– Jamais ! Jamais je ne lèverai la main sur eux !

– Vos parents ont-ils été maltraités par leurs parents ?

– Oui ! Et mes grands-parents aussi ! C’est un principe éducatif transmis depuis des générations ! Quiconque naissait dans cette famille était prédestinée à souffrir. Cette violence est une véritable malédiction familiale !

– Une malédiction qui dure depuis des siècles, mais grâce à votre passage dans cette famille, vos enfants en sont épargnés…

Un profond silence envahit la salle. Hacoc fixa le regard de Chidérée avec bienveillance, attendant tranquillement qu’elle réponde.

– Vous voulez dire que je me suis sacrifiée pour mes enfants ?

– Si cette mission devait vous être confiée aujourd’hui, accepteriez-vous ces années de souffrance pour les épargner ?

– Oui ! Ça je veux bien le croire ! Je ne supporte pas l’idée qu’on puisse leur faire le moindre mal. Si cette croyance est vraie, je me suis posée en bouclier !

– Chidérée vous n’êtes pas un bouclier, vous êtes un rempart, une forteresse, une citadelle ! L’éducation que vous transmettez à vos enfants est désormais sans violence. Ils ne battront pas leurs enfants et toute votre lignée sera libérée de cette terrible malédiction. Vous imaginez le nombre d’enfants que votre âme a sauvé de la maltraitance ?

Les yeux de Chidérée se troublèrent de larmes. Elle venait de donner un sens à son enfance torturée. Jusque-là, l’idée qu’une âme puisse choisir ses parents la rebutait, et soudain, elle avait envie d’y croire. Hacoc reprit :

– C’est un honneur pour moi de vous avoir ici Chidérée,  et tout le monde dans cette salle devrait se sentir gratifié. Votre âme n’est pas folle ! Elle est généreuse, courageuse, bienveillante… Vous vous êtes mise au service de quelque chose de plus grand que vous. Vous vous êtes sentie dépassée les premières années de votre vie, mais quel enfant ne le serait pas ? Vous ne pouviez pas comprendre à quel point vous étiez Responsable…

Face à l’émotion palpable, Hacoc décida de marquer une pause. Elle vint saluer chaleureusement Touride, qui accepta cet élan d’énergie particulier. Il lui raconta la rencontre qui l’avait amenée jusqu’à elle, et lui demanda de quelle manière elle pourrait l’aider à concourir.

– Depuis que vous êtes entré dans cette pièce, avez-vous été aidé ?

– D’une certaine façon, oui…

– Alors je vous propose de continuer pendant encore 2 jours.

– Vous pensez que ce que vous me direz m’aidera à remporter la victoire ?

– Je pense que ce que vous allez vivre ici vous aidera à remporter votre victoire !

– Quelle est la différence entre la victoire et ma victoire ?

– Vous le verrez en allant jusqu’au bout de votre mission.

Touride décida de s’intégrer au groupe de travail. A ces gens étranges qui œuvraient les uns pour les autres, et qui étaient convaincus qu’ils étaient au service de quelque chose de plus grand qu’eux… Peu à peu, l’idiot du village céda sa place à un homme nouveau, qui avait envie d’y croire.

L’idiot du village

Touride était un jeune-homme de 18 ans qui habitait dans un petit village à l’extrémité du Royaume. Pour entreprendre son voyage il dût vendre la chevalière que son père lui avait léguée. Son sommeil fut agité de longues nuits, mais il finit par faire ce choix douloureux, n’ayant pas d’autres biens.

Malheureusement, son vendeur ne fut pas des plus honnêtes. Il lui avait menti à propos de l’âge du cheval, et bien que le bel animal semblât en pleine forme au moment de la vente, il montra ses limites au bout de quelques tours de manège. Touride qui voulut s’engager dans quelques jeux sportifs à dos de cheval se ridiculisa aux yeux des habitants de son village. Il faut dire qu’il était  habitué à l’exercice : depuis sa plus tendre enfance, il ne se passait pas une journée sans que son entourage lui prouve qu’il était ridicule !

Il prouva encore son inaptitude à raisonner lorsque l’un de ses voisins lui dit :

– Ton vieux cheval ne vaut pas plus qu’une jeune mule !

Le lendemain, Touride échangea son cheval contre une mule et se risqua encore à quelques acrobaties. Cette fois sa monture se montra très énergique contrairement au vieil animal. Le problème, c’est qu’elle était têtue comme une mule…

Cependant, Touride avait un grand avantage sur tous ces gens qui l’étiquetaient : il ne savait pas que ses connaissances et ses compétences ne lui permettraient pas de s’orienter vers le palais. Il ne savait pas que dans le cas improbable où en franchirait les portes, il ne serait pas légitime de concourir. Il ne savait pas qu’il était incapable de gagner… Et comme son intellect ne lui permit pas de créer les verrous qui sont à l’origine d’une auto-sélection, il se lança dans l’aventure, ce qui le démarqua de ses contempteurs à l’intellect sur-développé, qui savaient précisément où le palais se trouvait et comment s’y rendre, mais qui ne prirent pas le risque de subir une humiliation cuisante.

Avant de partir, il alla rendre visite à son amie Misete. La jeune-femme le soutenait toujours malgré ses infortunes. Misete était sensible, donc fragile, mais extrêmement courageuse. A maintes reprises, elle prit la défense du pauvre garçon lorsque ses camarades le malmenaient. A de multiples occasions, elle l’aidait à se relever et à continuer à affronter la vie. Peut-être le trouvait-elle attachant dans sa façon d’échouer, puis d’essayer encore… Un jour, alors qu’il pleurait seul près du ruisseau, elle alla le voir et murmura à son oreille :

– Tu échoues avec tant de poésie, que jamais tu ne seras ridicule à mes yeux… Un jour, tu poseras un point final sur cet interminable poème.

Misete a eu beaucoup d’amants dans sa vie. Elle avait même la réputation d’être frivole et instable. Certains la qualifiaient de femme de petite vertu, et de nombreuses femmes la soupçonnaient de vivre en vendant son corps. Mais jamais elle ne se livra à ce genre de pratique. Elle s’était même fait un point d’honneur à n’avoir qu’un seul amant à la fois. Ce qu’elle donnait aux hommes qui partageaient ses draps, c’était des instants de complicité intense, déconnectés du monde extérieur. En quittant la relation ces hommes se sentaient revigorés, enivrés, heureux, puissants… Même si la relation ne durait pas plus de deux semaines, ils gardaient ce Sentiment d’Importance à vie ! Il leur suffisait de repenser à ces quelques nuits d’étreintes inoubliables pour se recentrer, même des années plus tard !

Sa relation avec Touride était d’une toute autre nature. Peut-être parce qu’elle était de 14 ans son aînée. Peut-être parce qu’elle se disait qu’après la séparation, il garderait davantage en lui les souffrances de la rupture plutôt que les nuits d’enchantements. C’était ainsi : avec certains hommes la relation ne pouvait dépasser une tape sur l’épaule.

Le jour du départ, à l’abri des regards, Misete serra Touride dans ses bras lui disant qu’elle était fière de sa décision et qu’elle croyait en lui ! Elle lui offrit des vêtements neufs qui lui donnaient une belle allure. Il posa sa tête sur son épaule et sentit une énergie puissante envahir son corps. Gêné, il relâcha l’étreinte. Après avoir échangé un dernier sourire avec sa bienfaitrice de toujours, il prit congé.

A quelques kilomètres de son village, un vieil homme lui demanda son chemin.

– Hélas, Monsieur, je suis sot ! Je ne saurais vous indiquer le bon chemin. Je ne sais même pas si je me dirige vers le palais.

– Mais vous n’avez pas l’air d’un sot ! Vous avez même l’air d’un homme doté d’une belle intelligence pratique. Il n’y a qu’à voir le choix de vos vêtements pour s’en convaincre.

– Ces vêtements m’ont été offerts, monsieur. Je ne les ai pas choisis. Voilà qui va réviser votre jugement.

– Mon jugement ne peut être révisé face à cette information qui ne change rien à votre intelligence.

– Pourquoi ?

– Parce que même s’ils vous ont été offerts, vous les avez acceptés. Beaucoup les auraient refusés ou s’en seraient débarrassés après la politesse. C’est donc votre choix ici et maintenant.

– Eh bien si vous passez près du village de Ducilire, évoquez-leur le nom de Touride, et ils vous confirmeront que je suis l’idiot du village !

– Monsieur, apprenez que l’idiot du village cesse d’être idiot au moment où il quitte son village… Montrez-moi la direction qui vous semble bonne et je la suivrai, car si votre savoir n’est pas suffisant, je sens que je peux faire confiance à votre intuition.

Touride, troublé par les paroles de cet inconnu, pointa soudainement du doigt un petit chemin. L’homme s’y précipita, le remerciant chaleureusement pour son aide. Puis il se retourna et lui dit :

– Au fait, vous êtes bien dans la direction du palais. J’en reviens… Et si vous avez un moment, passez voir Madame Hacoc. Elle vit sur le talus de la Noiveelart. Elle vous préparera à la compétition qui vous attend !

– Je n’ai plus le temps de me préparer. A dos de mule j’atteindrai le chateau juste à temps.

– Vous êtes donc encore face à un CHOIX. Soit vous continuez à vous laisser mener par votre tête de mule, soit vous acceptez l’aide de Madame Hacoc en échange de votre mule.

– Vous me demandez de perdre un temps précieux à écouter cette femme et à lui laisser ma mule en guise de paiement ? Soit vous êtes plus idiot que moi, soit vous voulez duper l’idiot que je suis…

– Je ne vous le demande pas, je vous le propose. Savez-vous faire la différences entre une demande et une proposition ?

– Maintenant que vous me posez la question, oui, j’aperçois la nuance.

– Si vous acceptez ma proposition, Madame Hacoc vous révélera d’autres nuances de ce type. Vous en aurez besoin pour le concours… Il est là votre CHOIX.

– Et comment ferais-je pour me rendre au palais sans ma mule ?

– En empruntant l’une des nombreuses diligences qui se dirigent vers le palais. Vous y serez en moins de deux jours…

– Je n’en ai pas le moyens .

– Les diligences sont gratuites

– Vous plaisantez ? J’ai vendu la chevalière de mon père pour cette mule !

– C’est écrit sur la missive, mais vous ne l’avez pas vu… Vous avez donc le CHOIX entre justifier votre action inutile par de nouvelles actions inutiles, ou changer votre destin en acceptant d’autres possibles.

– Ne croyez-vous pas aux signes du destin Monsieur ? Ne croyez-vous plus en mon intuition ? Si j’ai acheté une mule, c’est sûrement parce que c’est elle qui me mènera au chateau ! D’ailleurs, je n’ai pas voulu emprunter ce chemin, c’est elle qui m’y a forcé, et j’ai fini par me laisser porter. Elle a fait le bon choix !

– Vous avez CHOISI de vous acheter une mule pour entreprendre un si long périple ?

– A dire vrai non… J’ai d’abord acheté un cheval, mais comme tout bon idiot je me suis fait duper. Il était trop vieux ! Je l’ai donc échangé contre cette mule.

– Alors puisque vous croyez aux signes du Destin, j’ai une révélation à vous faire : Madame Hacoc ne peut monter à cheval. En revanche cette mule lui conviendra parfaitement. C’est pour cette raison que vous vous êtes fait duper et que vous êtes assis sur la fortune qui vous permettra d’investir sur votre victoire…

Touride réfléchit un instant et apprécia cet nouvelle vision du destin. Il remercia l’homme pour cet échange et se dirigea vers le talus de la Noiveelart.  Sa mule n’y opposa aucune résistance…

 

Un petit mouchoir blanc

Naurquive était un jeune-homme de modeste condition. Il était orphelin de mère. Son père noyait son chagrin dans l’alcool, ce qui le rendait «violent malgré lui». Les mauvais soirs, il passait son temps à frapper son fils, puis à lui demander pardon. Les bons soirs, il lui prodiguait des conseils de sages qui faisait du bien à l’âme de l’enfant. Plus Naurquive grandissait, plus il se demandait comment une personne qui dispose d’un tel potentiel de sagesse était incapable de l’appliquer pour elle-même…

De toutes les histoires qui marquèrent le jeune-homme, il en est une qu’il appréciait particulièrement. La voici :

L’utilité de la peur

Il était une fois un petit éléphant, qui fut arraché à sa mère afin d’être apprivoisé par les hommes. Cet éléphanteau ne savait pas qui il était. Il vivait parmi les hommes qui l’avaient attaché une chaîne fixée à un piquet. Il tenta de s’en défaire plusieurs fois, mais la chaîne était trop solide pour un si petit éléphant… Tout ce qu’il pouvait faire, c’est tourner autour du piquet. Il passa ainsi les premières années de sa vie à tourner, portant sur son dos des enfants, puis des adultes : l’animal sauvage était devenu un manège. A force de tourner, il oublia sa véritable Identité. Son monde se limita au cercle, dont le rayon était déterminé par la longueur de la chaîne .

Lorsqu’il atteignit l’âge adulte, de nombreux passants dirent à son dompteur qu’il fallait changer de chaîne  car elle était devenue trop fragile pour un éléphant de cette taille. Il leur expliqua alors que l’animal ne pouvait le savoir : il pouvait effectivement briser sa servitude d’un simple geste, mais elle faisait désormais partie de lui. La petite pression qu’elle exerçait sur sa patte lui rappelait la limite du cercle autorisé…

Il mit au défi les passants de sortir l’animal de son cercle… Personne n’y parvint. Ceux qui tentèrent de le pousser ou de le tirer ne purent le faire au delà de la distance autorisée par le terrible lien. L’un des passants, plus malin, déposa des bananes et des cacahuètes quelques mètres plus loin. L’éléphant regarda alternativement sa chaîne et les amuse-gueule d’un air triste, tentant de faire comprendre à cet homme qu’il avait placé les gourmandises trop loin. Puis il prit cette attention pour du cynisme et abandonna la partie, continuant à tourner en rond…

Mais un jour, un Sage qui passait par là fit le pari de libérer l’éléphant sans même le toucher, ni toucher à la chaîne… Tout le monde se mit à rire et le traita de fou ! Il leur suggéra tout de même de prendre leur distance, car il ne savait pas vers quelle direction l’éléphant allait courir. Certains suivirent le conseil, d’autres haussèrent les épaules !

Le vieil homme déposa un petit sac aux pieds de l’éléphant, puis il s’éloigna promptement.

Le petit sac se mit à bouger. Lentement, une petite souris commença à grignoter le tissus, et sortit de sa prison. A sa vue, l’éléphant se mit à barrir et à courir en cercle ! Mais lorsque la souris se glissa entre se pattes, il paniqua, brisa sa chaine, et courut droit vers la jungle, rejoindre les siens…

***

Naurquive fut impressionné par l’histoire : un animal si puissant qui ne peut se défaire d’une petite chaîne et qui a peur d’une souris… Tout lui paraissait à la fois vrai et surréaliste. Son père déposa un baiser sur sont front, ce qui eut pour effet d’apaiser toutes les douleurs qu’il lui infligeait les soirs d’ivresse. Il lui semblait même en cet instant, que toutes les douleurs imprégnées dans les murs de sa maison disparaissaient…

Un petit mouchoir blanc

A l’âge de 13 ans, un accident permit à Naurquive de rencontrer la princesse de très près : ce fut lors d’une apparition en public. Elle devait avoir 12 ans. A dos d’éléphant, elle circulait fièrement dans la grande rue qui menait du château au marché. Comme toute princesse, elle était précédée de ses gardes, et suivie de ses suivants.

Le foule admirait cette petite fille capable de dompter un animal aussi puissant. Elle observait son peuple avec un sourire sincère que chacun lui rendait. Naurquive était là, complètement subjugué. Il ne put quitter la Princesse du regard. Même lorsqu’elle le fixa, il ne sut baisser les yeux. Au contraire, il se sentait attiré, transporté, captivé… Et il semble que la Princesse ait également prolongé son attention sur lui, bien plus que sur les autres passants.

Lorsque le cortège commença à s’éloigner, Naurquive tenta de se frayer un passage dans la cohue pour le suivre. Au bout de quelques mètres, il fut jeté hors des rangs par des adultes agacés. Il resta assis par-terre, puis en fermant ses yeux, il ancra dans son esprit ce regard qu’il n’allait plus jamais oublier…

Il tenait cette technique de son père qui lui racontait que parfois, en imagination, il rejoignait son épouse pour l’étreindre à nouveau. Cette étreinte qui lui semblait si vraie, lui rappelait à quel point sa vie était belle et pleine de Sens avant la tragédie… Naurquive se fit la réflexion que lorsque son père se livrait à cet exercice, même pendant une minute, il n’avait plus besoin de s’enivrer. Elle valait un verre d’alcool, sans les effets indésirables…

Alors qu’il était encore sous le charme de la princesse, il vit deux enfants courir le long de la file. L’un d’eux tenait un petit sac en mains. Un frisson saisit le jeune-homme : se pourrait-il qu’une souris soit prisonnière à l’intérieur ? Ces deux camarades, dont il connaissait la propension à se livrer à des jeux dangereux, avaient-ils l’intention de faire peur à l’éléphant ?

Personne d’autre que Naurquive ne fit attention à ce qui se tramait. C’est la petite histoire de l’éléphanteau qui permit à l’enfant de porter son attention sur le sac. Certaines histoires, même fictives, ont le don d’activer dans les esprits un potentiel qui pourrait être qualifié de sixième sens.

Il se leva immédiatement et courut pour déjouer le plan des petits conspirateurs. Cette fois, aucune réprimande ne l’arrêta dans sa course. Les gens le poussèrent encore hors des rangs, mais il y retournait avec détermination pour suivre les suspects, qui curieusement n’étaient jamais repoussés. Un peu comme si le fait d’avoir planifié une stratégie leur traçait un chemin… Arrivés à hauteur de la princesse, ils entrouvrirent leur sac et le jetèrent au pied de l’éléphant. Effectivement, une souris s’en échappa ! L’éléphant fut saisi par la peur, la jeune-fille perdit toute affinité avec le puissant animal…

Les gardes tentèrent de maîtriser l’éléphant, mais quiconque s’en approchait recevait des coups de pattes ou de trompe assommants. La princesse était chahutée. La monture qui avait été si bien fixée commença à céder, et lorsque l’éléphant sortit de la piste balisée, la foule se dispersa en poussant des cris d’horreur.

Une seule personne suivait l’éléphant au lieu de le fuir : un petit garçon de 13 ans, qui semblait être littéralement attaché à la victime…

– Saute ! Cria-t-il à la Princesse… Je te rattraperai !

La Princesse sauta. Nul ne saura dire si c’est l’injonction du petit qui l’encouragea à faire le saut de la foi, ou si c’est son intuition qui lui donna l’impulsion de la dernière chance : une fraction de seconde plus tard, la dernière sangle de sa monture céda, et le siège somptueux qu’elle venait de quitter explosa en morceaux en se fracassant contre le sol. Plus gracieuse que l’objet, elle atterrit après lui dans les bras de Naurquive qui s’écroula volontairement pour amortir la chute. Elle s’en sortit sans aucune égratignure. Lui, fut blessé au front par l’un des éclats de la monture.

La princesse se releva, observa le sang qui coulait sur le visage de son sauveur, retira un petit mouchoir blanc de sa poche et tenta de le soigner, mais elle fut arrachée par l’un des gardes qui l’emmena loin du danger : des vandales commencèrent à piller les parures de la monture. Même les bouts de bois se vendirent à prix d’or quelques mois plus tard. Alors que le garde courait pour la mettre à l’abri, elle tendit la main vers son petit chevalier… Celui-ci tendit également sa main avant de s’écrouler une deuxième fois. Un vertige soudain eut raison de son équilibre. Nul ne saura dire si c’était les conséquences de sa blessure ou si la cause de sa chute était due au fait qu’il était littéralement «tombé» amoureux… Pendant plus d’une heure, personne ne se préoccupa de son sort. Il était là, allongé sur le sol le front dégoulinant de sang.

Dans sa main gauche, il serrait mouchoir blanc…

Un sentiment plus fort que la peur

Ce soir-là fut un bon soir pour Naurquive. Son père le soigna et le borda, lui prodiguant les meilleurs soins. Le jeune-homme expliqua à son père ce qui a motivé son action. Son père le félicita et le rassura :

– Le garde qui a a arraché la princesse de tes bras n’avait rien contre toi. Il a fait son devoir. Et toi, toi qui n’as peur de rien, tu as fait le tien.

– Si j’ai eu peur ! J’ai eu très peur en voyant l’éléphant piétiner tout le monde. Mais il y avait quelque chose de plus fort que la peur en moi ! Quelque chose qui m’a donné du courage…

– Alors si tu es capable de ressentir cette «chose», tu seras plus fort que la peur et plus fort que tes chaines : tu seras un grand homme !

L’enfant s’endormit lentement, tandis que son père lui caressait le visage. Il e réveillait en sursaut de temps en temps. Son père était là, pour le rassurer encore, le calmer, lui raconter de belles histoires, le féliciter encore. Son père était à sa place.

Le lendemain matin, Naurquive fut réveillé par des bruits assourdissants. Des bruits de verre et de poteries qui se brisaient. Il se leva et courut vers son père qui se trouvait dans la cour. Il lançait des bouteilles sur un mur, avec rage. A chaque lancé, il gémissait comme un animal fouetté. Des larmes lucides jaillissaient de ses yeux émerveillés. Elles brillaient tels des diamants, avant de toucher le sol.

– Mais que fais-tu papa ? Demanda l’enfant avec stupeur.

– Je brise ma chaîne, mon fils ! Je brise ma chaîne… Dit-il en riant et en pleurant à la fois.

La plaie que Naurquive avait au front inquiéta son père toute la nuit. Il avait peur pour son enfant. Il fut tenté plusieurs fois par l’alcool, mais il n’y toucha pas, car il voulait garder toutes ses facultés en cas de besoin. Puis, à mesure que la nuit avançait, il redécouvrait un sentiment oublié. Un sentiment qu’il avait enfoui un jour de peine et de deuil… Un sentiment dont il avait peur et qu’il rejetait depuis 13 ans. Depuis que sa bien-aimée mourut en donnant naissance à un petit prodige, qui était à la fois son plus beau cadeau et la cause de ses tourments.

Au lever du jour, ce «quelque chose» plus fort que la peur l’habitait… A mesure que le soleil se levait, il retrouvait sa véritable Identité. Jamais plus il ne leva la main sur son fils.

Naurquive a gardé précieusement le mouchoir de la princesse. Chaque jour, parfois plusieurs fois par jour, il s’assoit, ferme les yeux, serre le mouchoir blanc dans sa main, et tout en respirant profondément, il revoit la princesse de ses rêves. Il la tient dans ses bras, elle le regarde amoureusement, et bien avant qu’un garde vienne la lui enlever, il ouvre les yeux pour garder en lui la douceur de l’instant…

Tout est parfait…

– Vite, Hurla le cavalier en sautant de son cheval, je dois m’entretenir avec Tirame !

– Sergatte ! Mais quel plaisir de te revoir ! Lui dit un homme d’un forte carrure qui vint à sa rencontre les bras ouverts…

– Je n’ai malheureusement pas le temps pour les civilités, dit-il en faisant une rapide accolade. Voilà 5 heures que je cavale sans m’arrêter… Je dois voir Tirame ou même notre roi en personne !

– Tirame est en train de préparer les épreuves. Je doute qu’il puisse te recevoir plus de 2 minutes.

– Où est-il ?

– Dans son atelier…

– J’y vais !

Sergatte courut vers l’aile droite du château et s’enfonça dans une petite allée. Il frappa à une porte sur sa droite, et après avoir reçu l’autorisation d’entrer, il prit Tirame dans ses bras avant d’engager le dialogue :

– Il faut absolument rédiger une nouvelle missive ! Les gens sont complètement perdus !

– Les gens ? Mais de qui parles-tu ?

– Je reviens d’un taverne appartenant à un certain Fibsurves. Ce qu’il raconte à ses clients à propos du concours qui se prépare est terrible ! Il déforme toutes les attentions vertueuse de notre roi pour les transformer en pièges infâmes. Et il est tellement sûr de lui que tout le monde le croit !

– Tout le monde sauf toi… Et selon toi que faudrait-il ajouter ou retirer à notre message ?

– Beaucoup de choses ! Par exemple, il est écrit que les diligences qui vont vers le château seront gratuites pendant la semaine du concours. Mais rien n’est mentionné à propos du retour. Ce qui pourrait laisser croire qu’il faudra payer son billet retour, ou pire : qu’il n’y aura pas de retour…

– Je vois que Fibsurves a fait du bon travail ! Tu as l’air complètement désorienté…

– Du bon travail ??? Mais cet homme est le diable en personne ! Il ne laisse rien passer. Chaque phrase de ton message a été retournée contre le roi avec un facilité déconcertante. Il faudrait ajouter des précisions et de nombreux détails pour rassurer les gens, sinon le jour du concours il n’y aura personne aux portes du Palais.

Sergatte conta à son ami la conversation dont il a été témoin. Il tenta de le convaincre d’établir une nouvelle communication qu’aucun argument critique ne pourrait dénoncer. Tirame l’interrompit :

– Sergatte, après notre dernière bataille, j’ai décidé de siéger auprès de notre roi pour le soutenir dans les affaires du palais. Toi mon ami, tu es devenu un excellent négociant et ton expérience au contact du peuple nous est précieuse. Il serait logique que je suive tes conseils avisés, mais cette fois, je n’en ferai rien. Tout est parfait…

– Je ne comprends pas. Explique-moi !

– A combien de personnes s’adresse la missive royale ?

– Environ 3 millions de célibataires !

– Et combien de places avons-nous dans notre arène entre l’espace réservé aux jeux et les sièges ?

– Environ 30.000 !…

A peine eut-il le temps d’avancer son chiffre que Sergatte s’arrêta net… Il venait de se rendre compte qu’il n’y aurait jamais assez de place pour tout le monde. Il faudrait limiter l’accès au palais à une personne sur cent… Tandis que son front se déplissait, Tirame lui lança une phrase révélatrice :

– Si Fibsurves n’existait pas, il faudrait l’inventer !

Sergatte devait bien se rendre à l’évidence : bien que Fibsurves soit un personnage détestable, il était utile dans le processus de filtrage. Mais une chose le dérangeait encore, et il décida d’en parler à Tirame, quitte à se sentir ridicule une deuxième fois :

– Tu as raison Tirame ! Mais parmi les personnes que le tavernier et sa suite dissuadent, il y a des princes potentiels. Des personnes d’une très grande valeur morale qui vont se laisser entraîner dans une spirale négative, parce que la missive manque de clarté. Une modification du texte permettrait de les faire venir. Ne devrait-on pas retravailler ce texte pour que la missive associée à Fibsurves permette de sélectionner la crème de la crème ?

Tirame entreprit alors de lancer quelques truismes à son interlocuteur. Des vérités absolues qui vont chercher les Energies utiles aux décisions et aux actions :

– Es-tu d’accord avec le fait que notre roi a toujours servi les intérêts du peuple avec force et courage ?

– Oui ! C’est pour cette raison que je lui serai toujours fidèle !

– Par temps contraires, a-t-il fait preuve de sagesse et d’humilité pour donner au royaume l’Energie dont il avait besoin ?

– Oui ! Absolument ! Même lorsqu’il fut affecté par la mort de la reine…

– Est-il digne de Confiance ?

– Oui ! Je mourrai pour défendre son honneur !

– Alors tu ferais un excellent mari pour la princesse et un excellent roi à ton tour ! Tu peux concourir aux côtés de tous ceux qui, comme toi, ne se laisseront pas abattre par ce tavernier fou, et qui le jour du concours, viendront aux portes du palais. Car quoi que dise ce détracteur stupide, ils se diront «Ce n’est pas possible ! Il doit y avoir une autre explication ! Notre bon roi ne ferait pas une chose pareille !». Et ils trouveront par eux-mêmes, dans le texte actuel, de quoi réaffirmer leur Foi en notre roi.

– Tu veux dire que ceux qui se laissent entraîner par Fibsurves avaient déjà des aprioris négatifs ?

– Exactement ! Il ne fait que se servir des brèches ouvertes dans leurs esprits. D’ailleurs, dans la conversation que tu m’as racontée, on voit qu’au bout d’un moment, Lucerde fournit lui-même de nouveaux arguments à Fibsurves. Lorsque le doute existe, le manipulé devient complice du manipulateur.

– Et ne serait-il pas de notre devoir de les aider à ouvrir les yeux ?

– Je vois que tu as très envie de justifier tes 5 heures de course folle… Mais rappelle-toi que ma mission n’est pas de vendre de la viande, du tissus ou des fruits. C’est de l’avenir de la Princesse dont il s’agit et aussi de l’avenir du royaume lorsque ce couple sera amené à régner. Je ne veux pas d’un prince avec un esprit girouette qui se laisse tantôt convaincre par Fibsurves, tantôt convaincre par tes arguments. Je veux faire concourir des hommes de Foi, et c’est cette Foi que je mettrai à rude épreuve pour affiner la sélection. La première épreuve de Foi s’appelle Fibsurves. Elle nous est servie par l’Univers… Tout est parfait…

– Tout est parfait… J’ai toujours aimé cette phrase lorsque tu la citais lors de nos batailles. Même lorsqu’elle faisait outrage aux situations difficiles que nous traversions, le fait que ce soit toi qui le dise m’a toujours réconforté. Comment fais-tu pour faire briller ces 3 mots en toutes circonstances ?

– Je suis au service du bien ! Je n’ai aucun doute sur le bien fondé de ma mission. Que ce soit en pleine bataille, au cœur d’une tempête ou sous la torture, je sais que ce que je vis a du Sens. Un Sens que je ne pourrai pas forcément comprendre au moment de la souffrance, mais qui m’apparaîtra comme une évidence avec le temps…

Sergatte sourit… Son ami de toujours venait de lui donner une leçon d’humilité. Il connaissait son parcours et le lourd tribu qu’il a payé. Il ne pouvait le contredire : tout est parfait… Il relâcha ses épaules et retrouva son souffle avant de lancer avec autodérision :

– Et quel sens puis-je donner à mes 5 heures de cavalcade, alors que tant d’affaires m’appellent ailleurs ?

– Depuis combien de temps avais-tu envie de revoir tes amis au Palais ?

– Chaque jour je pense à vous. Chaque jour vous me manquez !

– Alors la voilà la raison de ta course. Ce soir, nous dînerons au complet ! Tout est parfait…

– Tout est parfait…